Les élèves du M1 LiMès ont réalisé dans le cadre du cours de médiation littéraire encadré par Guénaël Boutouillet, des critiques d’oeuvres choisies parmi les sorties de la rentrée littéraire 2016. En partant d’une citation marquante, et après un long processus de réflexion et de partage, sont nées différentes critiques permettant un premier pas dans la médiation du livre.

 

Voici 2 critiques en lien avec les différents  événements du Master et de la Faculté Lettres & Langues de Poitiers: les Avants-Bruits de Langues et le Colloque sur les Editions Verticales ( 13 et 14 avril 2017) :

L’art de revenir à la vie, Martin Page.

Le roman de Martin Page L’art de revenir à la vie, paru chez Seuil en 2015, se laisse découvrir par une couverture lisse, douce à toucher. Visuellement, on remarque le design bien reconnaissable de la collection Cadre Rouge du Seuil. Jusqu’à présent, rien de particulier ne se dégage de ce roman. Cependant, cette première impression disparaît rapidement après avoir entame la lecture de L’art de revenir à la vie. En effet le vide de la couverture tranche de manière surprenante avec la richesse et l’abondance d’images que procure le récit de Martin Page au lecteur.

Le style de Martin Page est sobre, très imagé. La langue est vivante, suscite des images accompagnées de phrases rythmées, dynamiques. L’histoire, quant à elle, est prenante. Ce récit à la première personne s’apparente à une autofiction. Le narrateur nous invite dans son quotidien d’écrivain en galère, qui peine à joindre les deux bouts. Il reçoit une proposition d’une productrice qui lui propose d’adapter un de ses romans au cinéma. Hésitant à accepter, il revient temporairement à Paris pour mener à bien le projet. Dans la capitale qu’il connaît bien, il loge chez un couple d’amis : Joachim et Farah. Joachim est un artiste sculpteur, qui a façonné une œuvre curieuse nommée « Machine à remonter le temps ». Cette œuvre porte bien son nom, puisqu’elle permet miraculeusement à Martin de revenir dans le passé, et de rencontrer son moi de douze ans.

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Le roman de Martin Page narre ainsi la rencontre entre son moi adulte et son moi adolescent, et plonge le lecteur dans une certaine nostalgie. En effet, lors de la lecture de L’art de revenir à la vie, je me revois assise dans mon lit dans la maison familiale, munie d’une tasse de café dans la main. Je me souviens de manière précise dans quel état j’étais lors de cette lecture, et à quel point la nostalgie de mon enfance m’a rattrapée. D’un coup, je me suis retrouvée quelques années en arrière dans ma chambre d’adolescente à Paris en train de dévorer mes livres de chevet. Une nostalgie s’est emparée de moi, et je me suis complètement identifiée au narrateur, il n’y avait plus de barrière entre lui ou moi. Tout était confondu, les barrières du réel et de la fiction se sont complètement effacées. Avec le recul, je me rends compte que c’est cette expérience de la lecture que je préfère. C’est celle qui me permet un retour à moi, une introspection, et qui me plonge dans une autre dimension où le temps et l’espace sont suspendus. L’Art de revenir à la vie traite de cette nostalgie, et de ce dialogue avec soi-même. Les passages les plus marquants, pour moi, sont ceux où le narrateur retrouve son double de douze ans. Une certaine poésie s’échappe de ces lignes. Puis, cela me fait réfléchir. Et moi, que dirais-je à la petite fille que j’étais ? Serait-elle fière de moi, de nous ? Le roman de Martin Page montre à quel point l’enfance est un moment fondamental de notre existence, et à quel point la nostalgie a parfois un poids trop lourd sur nous, et comment on se raccroche sans cesse au passé.

« Le passé frappe souvent à la porte. Il n’est pas seul responsable de mes crises d’angoisse et de ma collection de névroses (hypocondrie, phobie sociale, cyclothymie, peur de finir à la rue, de mourir de faim et de froid, défaitisme narcissique), mais il n’arrange pas les choses. L’enfouissement a échoué. L’homme que je suis est constitué par les expériences de l’enfance et de l’adolescence, et il est contrôlé par elles. J’ai trop souvent l’impression d’être le golem de mon passé. Chacun de mes actes et chacune de mes pensées est sous l’influence des peurs et des douleurs de mon enfance et de mon adolescence. Chacun de mes actes et chacune de mes pensées est aussi sous l’influence des joies, des plaisirs et des forces de mon enfance -mais évidemment le négatif sait mieux se faire entendre. Je peux d’autant moins m’en débarrasser que je tiens à être fidèle à ce passé. Je tiens à ne pas l’abandonner. Je veux me réchauffer et le guérir. »

Les pouvoirs de la machine à voyager de Joachim dans l’Art de revenir à la vie permettent cette rétrospection, et le roman de Martin Page possède cette même fonction.

Les dialogues entre le moi jeune et le moi permettent de faire avancer les réflexions de l’auteur. Cette dialectique ressemble à s’y méprendre à celle du maître et de l’élève, mais on voit bien que tout est chamboulé. On se rend compte très vite que l’adulte a beaucoup plus à apprendre de l’enfant, et que ce dialogue apporte un profond changement de son regard. Ce roman pose la question de la dualité, de la nostalgie et l’enfance. Ainsi, l’Art de revenir à la vie de Martin Page est un roman sincère, à la fois léger et riche, qui suscite des émotions fortes grâce à des thématiques qui me touchent particulièrement.

Léa Gourvès

 


Les cosmonautes ne font que passer – Elitza Gueorguieva

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Source : Couverture du livre illustré par Philippe Bretelle, (photo de Charlotte Rosz)

Avant de vous parler du roman en lui-même, il me semble nécessaire de vous présenter Elitza Gueorguieva. Cette jeune femme est née en 1982 en Bulgarie, plus précisément à Sofia. De plus elle est francophone (cocorico !!!) puisqu’elle travaille à Paris depuis quinze ans. Le monde du livre ne la connaît que très peu voire pas du tout. Ceci est normal car avant d’être auteure, elle est avant tout cinéaste et performeuse. Elle a ainsi produit deux documentaires de création, son dernier film étant Chaque mur est une porte écrit en 2013. Elle fait également de la performance textuelle pour des manifestations telles que la Manifesta. Elle a aussi écrit de courts textes pour Dyonisies (publication dans le cadre du festival Hors-Limite 2015), Jef Klak et Vue sur cour (recueil de textes sur la BNF). Elle est aussi co-fondatrice du collectif de performance chôSe.

Revenons en à l’auteure et donc au livre puisque c’est tout l’objet de cet article subjectivement critique. Ainsi Les cosmonautes ne font que passer a été publié aux éditions Verticales en cette rentrée littéraire 2016. Ce roman assez court (184 pages) se précise comme le premier roman de l’auteure. Malgré sa jeune carrière littéraire, Elitza a vu son roman être nominé pour le prix de la page 111 (mais n’a pas remporté le prix). Ce prix assez délirant s’inscrit parfaitement dans le ton parfois humoristique de ce roman.

Et voici le moment que vous attendiez tous ! Que ce passe-t-il dans ce roman ? Beaucoup de choses :

a) on est en Bulgarie,
b) dans les années de l’état soviétique puis dans l’ère post-soviétique,
c) et l’on suit une jeune fille âgée de sept ans.

Vous vous demandez pourquoi une telle forme stylistique pour vous donner le gros de l’histoire. C’est de cette façon que cette jeune fille décompose le monde qu’elle perçoit. Et le lecteur assiste durant l’histoire tout d’abord à l’évolution de cette fille à travers sa jeunesse jusqu’à la fin de son adolescence, mais aussi au changement du monde qui l’entoure. Que ce soit dans l’aspect culturel, politique ou encore dans la vie de la ville.
Elle vit donc dans une époque communiste où elle rêve de devenir cosmonaute comme Iouri Gargarine puis connaît l’importation de la culture américaine notamment à travers la musique rock et Kurt Cobain. Cette transition se retrouve par ailleurs très symboliquement sur l’illustration de la couverture du livre. En parlant de cette couverture, elle fonctionne assez bien pour attirer l’attention du lecteur sur l’objet.

C’est donc une histoire très personnelle puisque le traitement du point de vue de cette fille se traduit par l’utilisation de la seconde personne du singulier, autrement-dit par « Tu ». Au contraire de cette personne qui a posté son avis sur Senscritique, il ne faudrait pas voir cette approche stylistique comme un défaut mais plutôt comme une force. Une force car elle implique fortement le lecteur dans l’expérience que se fait cette jeune fille par rapport au monde qui l’entoure. Mais tout cela se fait dans une naïveté apparente afin adoucir toutes les situations sérieuses que la fille rencontre dans ce roman. Cette innocence est aussi mise en avant par des situations hilarantes et bienvenues.

Ainsi l’auteure aborde plusieurs choses dans ce livre. La plus évidente étant la jeunesse et ce regard particulier sur l’environnement selon l’âge. Elle traite aussi de cette vie vécue en Bulgarie (n’oublions pas que Elitza Gueorguieva a aussi vécue dans ce pays) et dont le roman pourrait alors s’apparenter à un mélange de fiction et d’archives. Mais le thème le plus révélateur semble être la façon dont la politique et sa culture (communiste ou américaine) influence la vie d’une personne et ses rêves. Par ailleurs, une fois lu le livre dans son intégralité, on peut voir que le titre Les cosmonautes ne font que passer reflète bien ces thématiques et correspond tout à fait à ce qu’à voulu raconter l’auteure.

En bref, c’est un superbe premier roman où l’on peut découvrir une certaine idée de la vie en Bulgarie s’inscrivant dans l’Histoire européenne connue de tous. De plus, ce livre est très facile à lire et surtout le plaisir de la lecture est là ! On espère donc qu’elle continuera son travail d’écriture et si possible y retrouver la fraîcheur et le caractère désopilant de ce texte.

« Quelques jours plus tard c’est officiel : le Père Noël, en fait, n’existe pas. Tu apprends cela à l’école, en manifestant ton indignation face aux nouveaux changements, à la suite de quoi plusieurs camarades de classe te confirment la chose. Tu paniques et tu cours vers Constantza pour lui annoncer la nouvelle, qu’elle n’a pas l’air d’entendre pour la première fois. Tu es affectée d’apprendre qu’elle s’en doutait depuis longtemps et qu’il n’y a que toi pour croire encore au Père Noël à l’âge de huit ans, te dit-elle avec condescendance. Ayant pisté la trace des colis, elle s’était aperçue que ceux du nouvel an n’arrivaient ni de Sibérie, ni de Laponie mais de Grèce comme tous les autres ; te le dire aurait brisé tes rêves, te dit-elle en te prenant dans ses bras et tu te rappelles sur-le-champ que c’est ton amie éternelle à qui tu pardonnes tout. »

À retrouver le livre sur le site de l’éditeur ou plus directement ici.

Une très courte interview de l’auteure est également disponible sur ce lien, un article intéressant s’y trouve aussi sur le site de l’Humanité. Retrouvez-la aussi dans l’émission Danse des mots sur RFI.

Maxime Pannetier

 

 

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