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L’enquête a été menée par des étudiant.es de Lettres-Sciences politiques : Mathilde Boutin-Noël, Aurélie Duvivier, Coline Luu, Victor Maisonneuve, Alexis Piguel, Camila Rocha Florescano, au premier semestre de l’année 2023. Le document PDF est disponible ici.
Dans notre société contemporaine, la recherche de genre met en lumière des disparités persistantes qui se font sentir dans les interactions verbales et prises de parole dans l’espace public. L’université n’est pas épargnée et les implications de cette répartition genrée de la parole vont au-delà de la simple communication : elles touchent à la construction même des identités sociales des étudiant·e·s. Cette étude n’est pas réalisée par des sociologues et comprend donc probablement des failles tant sur la méthodologie, la collecte de données, que sur l’analyse et sa restitution ; cependant sa conclusion peut être tout de même instructive sur la situation de l’expression dans notre promotion.
Notre projet trouve son origine dans l’observation et le ressenti de plusieurs étudiant·e·s de notre promotion (de première année de licence de Lettres-sciences politiques). Nous avions l’intuition que les prises de parole étaient majoritairement réalisées par des hommes. Aussi des échanges avec des étudiantes de troisième année nous ont indiqué que le sentiment semblait être partagé à l’échelle de la licence en général. Marie, étudiante en troisième année nous explique que l’inégale répartition de la parole se manifeste, selon elle, précisément lors des travaux oraux où les enseignantes et enseignants régulent beaucoup moins la parole masculine. Élisa (également étudiante en L3) témoigne : « les mecs se disent : « pourquoi pas moi » et accaparent la parole quand on la leur propose [tandis que] les meufs […] doutent de la pertinence de leurs réponses et cela ne les rend pas aussi réactives […]. Ça fait que les filles prennent moins de place en cours et que les gars parlent souvent pour ne rien dire. Après j’observe des évolutions depuis la L1. Beaucoup ont dénoncé ce genre de comportement écrasant, les gars en ont pris conscience et font des efforts. C’est vraiment moins pesant. ». Nous avons l’intime conviction qu’il est essentiel de saisir et comprendre les mécanismes qui sous-tendent la répartition de la parole. Il s’agit de décrire et dévoiler les schémas existants en scrutant les interventions verbales au sein des différents cours pour identifier les tendances prédominantes de répartition de la parole et analyser leurs conséquences. Nous nous sommes attaché·e·s également à explorer les perceptions des acteur·ice·s en recueillant les opinions et les expériences d’étudiant·e·s afin de mieux comprendre comment ils et elles perçoivent l’expression au sein de la promotion. Nous espérons ainsi contribuer à un enseignement plus égalitaire et permettre la mise en place de pratiques positives offrant un cadre d’enseignement plus sain où chacune et chacun est libre de s’exprimer et a l’opportunité d’être entendu·e.
Cette étude trouve son origine sur notre ressenti (forcément subjectif). Nous cherchons ici à vérifier si cette hypothèse de départ sur la monopolisation de la parole en classe par les hommes est fondée. Nous tenterons donc de fournir une base de données solide et sourcée pour invalider ou valider cette thèse.
La thématique est connue depuis longtemps dans le monde militant, avec des outils déjà existants pour comptabiliser la prise de parole genrée (check who’s dominating the conversation). L’examen de la littérature scientifique révèle un intérêt croissant pour la répartition genrée de la parole au sein de notre société. Les études antérieures ont souvent mis en lumière des disparités significatives, démontrant que la parole médiatique (36% de temps de parole féminin pour 43% de présence à l’antenne[1]), politique et au sein du monde du travail (en réunion les femmes représentent 25% du temps de parole[2] et sont plus fréquemment interrompues que les hommes[3]) est soumise à de grandes inégalités.
Les recherches sur l’enseignement statuent aussi sur des inégalités dans le milieu éducatif[4]. Parmi ces dernières, on retrouve les normes socioculturelles, les attentes des enseignant·e·s, les dynamiques de groupe et les stéréotypes de genre.
Notre recherche s’inscrit dans la continuité de ces travaux préexistants, tout en cherchant à apporter une analyse plus spécifique à notre filière.
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[1] La représentation des femmes à la télévision et à la radio – Rapport sur l’exercice 2022. ARCOM. 06/03/2023.
[2] Karpowitz, C., Mendelberg, T., et Shaker, L., « Gender inequality in deliberative participation », American Political Science Review, vol. 106, no 3, 2012, p. 533-547.
[3] Hancock, A. B., et Rubin, B. A., « Influence of communication partner’s gender on language », Journal of Language and Social Psychology, vol. 34, no 1, 2015, p. 46-64.
[4] HAL Open Science de Lucie Despringre, Éduquer sans préjugés de Amandine Hancewicz & Manuella Spinelli.
Nous avons privilégié l’adoption d’une approche mixte, combinant des méthodes quantitatives comme l’observation systématique des interventions verbales classées par enseignement (16 matières) et par nature de l’intervention (7 catégories détaillées ci-dessous) et des méthodes qualitatives avec un sondage.
Pour la méthode quantitative, il a fallu classer les interventions en fonction de leur nature pour mieux saisir le type de prise de parole effectuée, ainsi nous avons établi 7 catégories :
– les réponses aux interrogations des enseignant·e·s,
– les questions visant à approfondir ou élargir une thématique traitée par l’enseignant·e,
– les incompréhensions qui cherchent à clarifier, réexpliquer un sujet ou toute question méta-thématique ne portant pas sur le contenu du cours (nature de l’examen, modalité de rattrapage…),
– les participations au cours de débats,
– les interventions synthétiques qui tentent de résumer et/ou conclure les discussions en cours,
– les réflexions dont la fonction est de livrer une analyse sans sollicitation enseignante [notons que certaines réflexions sont camouflées en questions mais, dans cette étude, celles-ci sont comptabilisées en tant que réflexions],
– enfin certaines interventions n’entrent dans aucune de ces catégories et sont donc comptabilisées sous la dénomination non-catégorisées.
Nous avons exclu le critère de pertinence des interventions (malgré son intérêt) car bien trop subjectif et n’avons pas pris en compte non plus l’attitude des enseignant·e·s, cependant notons que cette influence s’avère minime (les professeur·e·s ne semblent pas plus interroger une catégorie d’étudiant·e·s). Cette méthodologie vise à saisir le phénomène étudié dans son ensemble et dans sa variété avec la plus grande précision et pertinence.
La méthode qualitative a été réalisée pour donner suite à la collecte et l’analyse des données quantitatives, et les questions élaborées en fonction des hypothèses déjà tirées. Nous avons eu recours à un questionnaire anonyme d’une vingtaine de questions dont l’objectif était d’établir des profils caractéristiques et de mieux saisir les résultats de nos données quantitatives. Nous avons divisé ce questionnaire en 4 grandes catégories consacrées à : l’identité, l’éducation, le milieu scolaire/universitaire et les opinions et l’engagement politique, des facteurs qui, selon nous, pourraient jouer dans les résultats obtenus.
L’échantillon de personnes sondées est composé de 59 individus. Ce groupe se répartit entre 43 femmes, 15 hommes [à noter : un homme a quitté la licence avant l’envoi du questionnaire et n’est donc pas pris en compte dans les effectifs du sondage] et 1 personne non-binaire. L’étude ayant été réalisée à partir des listes universitaires et le questionnaire étant anonyme, nous n’avons malheureusement pas eu la possibilité de prendre en compte la non-binarité de l’étudiant·e concerné·e, ainsi est-il impossible de déterminer sous quel genre a été inscrite cette personne. Les étudiant·e·s (majoritairement français ou binationaux) ont entre 17 et 20 ans et sont en licence 1 de Lettres-sciences politiques à Poitiers. Les étudiant·e·s sont majoritairement issus de familles de cadres et professions intellectuelles supérieures.
Les données ont été récupérées durant 16 cours différents de cette licence sur une période de 3 mois (octobre à décembre 2023). Le groupe est composé d’étudiant·e·s plutôt actif·ve·s en classe, dans une dynamique bienveillante qui permet un cadre tolérant pour la prise de parole[1]. La majorité des étudiant·e·s se déclare de gauche et féministe (et informée sur les thématiques féministes).
[1] Selon les données récoltées lors du sondage, 31,1% des étudiant·e·s considèrent que le cadre de vie est « correct », 44,4% « favorable » et 17,8% « très favorable ».
Dans cette partie, nous nous attacherons à détailler puis à commenter les données recueillies. Nous tenterons de les analyser ensuite dans une approche genrée pour vérifier notre hypothèse de départ. Ce premier graphique nous permet de visualiser la répartition des prises de paroles dans les sept catégories. On remarque que les quatre catégories prédominantes sont (par ordre décroissant) les « réponses », les « réflexions », les « questions » et enfin les « incompréhensions ».
Si l’on compare la répartition des prises de parole masculines et féminines dans les sept catégories, on note que celles-ci sont relativement similaires. Il réside cependant une différence significative sur la part d’interventions féminines dans la catégorie « incompréhension » (prises de parole qui cherchent à clarifier les sujets abordés ou les questions méta-thématiques ne portant pas sur le contenu du cours) qui représente 25% des interventions chez les femmes contre 13,8% chez les hommes (pour qui toutes les autres catégories sont plus importantes).
Notre hypothèse est validée par le graphique suivant qui montre que les prises de parole sont très largement masculines. Les femmes représentent 71% de la promotion mais seulement 39% des prises de parole, contre 61% effectuées par 29% de la promotion (les hommes). En moyenne, chaque homme a participé 13,06 fois là où chaque femme a participé seulement 2,98 fois.
Ce même phénomène s’observe de manière plus ou moins marquée à l’échelle de chaque cours. Certains enseignements comme le droit constitutionnel (où l’on recense 51 participations masculines contre 11 féminines) sont très éloquents pour illustrer cet accaparement parolier masculin. C’est aussi le cas en analyse du discours politique (29/19), en rhétorique (20/10) ou à moindre échelle (causée par une différence moins marquée et/ou par un manque de données) en histoire antique (23/18), en politique des USA (5/3), en littérature comparée (6/4), en économie (1/0), en culture critique et argumentation (6/3), en allemand VO (5/3), en philosophie de la démocratie (2/0) et en repères contemporains (3/2). Au total, 11 des 16 enseignements connaissent une sur-représentation des prises de parole masculines. La littérature européenne connaît une répartition égale avec 13 prises de paroles par genre (du fait du nombre plus important d’étudiantes dans notre promotion, cette répartition n’est cependant pas également proportionnée). Enfin, quatre enseignements révèlent plus d’interventions féminines que masculines : l’espagnol VO (8 prises de parole féminines contre 6 masculines), l’espagnol TD (13/3), l’anglais TD Diane (9/7) et enfin l’introduction à la géopolitique (8/6).
Enfin nous n’avons pas évoqué un dernier type d’interventions : les « non-catégorisées ». Il comprend les lectures (au nombre de deux divisées dans chacun des genres) et les interventions non-sollicitées (sans lever la main) : on en compte au total 13 à raison de 11 masculines et 2 féminines.
Dans cette partie, nous nous attacherons à tenter d’expliquer la différence genrée dans les prises de parole à travers certains facteurs déterminants établis par le questionnaire. [N.B. 37 femmes sur les 43 de la promotion ont répondu au questionnaire, et 11 hommes sur 15. Au total, il y a eu 17% d’abstention. De plus, étant donné qu’il y a plus de femmes dans notre promotion, les données récoltées sont probablement plus significatives que pour les hommes. Cela peut entraîner des biais analytiques]. Le premier facteur particulièrement significatif réside dans la confiance en soi. 80% des hommes interrogés déclarent avoir confiance ou très confiance en eux, tandis que 59% des femmes déclarent avoir confiance ou très confiance en elles. Les mêmes pourcentages s’observent pour la question portant sur l’encouragement à l’expression dans l’enfance et l’adolescence : les hommes de notre promotion ont été élevés en étant plus encouragés à s’exprimer que les femmes. En revanche, le sondage ne met pas en lumière de disparité en matière de culture du débat dans le cercle familial des étudiant·e·s (65% des femmes déclarent avoir été élevées dans une pratique du débat contre 70% des hommes). 43% des femmes considèrent l’état d’esprit de la promotion comme moyen ou négatif, contre 18% des hommes. Ce facteur pourrait en partie expliquer la faible prise de parole des femmes. Enfin le dernier élément significatif mis en lumière par notre questionnaire concerne la perception en matière de compétences et connaissances des individus sondés par rapport aux autres étudiant·e·s. 11% des hommes sondés déclarent leurs connaissances inférieures ou légèrement inférieures par rapport aux autres étudiant·e·s, pour 54% des femmes sondées. En définitive c’est probablement l’addition de ces différents facteurs qui peut expliquer une telle disparité dans les prises de parole.
L’analyse approfondie des données recueillies dans le cadre de notre étude révèle des tendances genrées dans la pratique orale au sein de notre promotion. Les résultats quantitatifs confirment la présence de disparités notables dans la distribution de la parole entre les genres, mettant en évidence une prédominance d’une participation plus active chez les hommes. Si cette disparité peut s’expliquer, probablement, à partir de différences d’éducation, d’organisation de l’espace, de contexte plus ou moins favorable à l’expression et à l’écoute, il semble essentiel de prendre des mesures (comme la mise en place d’une stricte parité ou de groupes chargés de la juste répartition de la parole) pour lutter contre cette disparité et rendre la libre expression juste et égalitaire.
Podcast d’Aurélie Duvivier-Carayon et de Victor Maisonneuve, avec Anne Debrosse (chargée de mission égalité-diversité).