L’édition sans éditeurs

Ce premier ouvrage d’André Schiffrin, présente le fonctionnement du monde de l’édition et les bouleversements qu’il rencontre, dans cette nouvelle dictature de la rentabilité.

La première partie de l’œuvre permet de dresser un aperçu historique de l’édition. En effet, en s’appuyant sur l’expérience de son père, aussi à l’origine de la collection française « La Pléiade », André Schiffrin donne à voir aux lecteurs en quoi consistait l’authentique édition indépendante à l’époque. Contraint à l’exil en 1940 suite aux lois anti-juifs, le père de l’auteur va donc fonder la maison d’édition Pantheon Books avec d’autres exilés. En quelques pages, il nous présente son travail et ce qui le caractérisait. Ce-dernier reposait sur une base très simple et qui s’est aujourd’hui perdue : ne pas présumer ce que le public était censé vouloir. Il y avait donc une constante recherche éditoriale. On sélectionnait les textes avec soin et on prenait des risques en publiant toutes sortes d’auteurs. L’édition avait alors un rôle éducatif, les livres visaient des lecteurs aussi bien dits d’élitistes que de populaires. Le contenu prévalait ainsi sur le reste.

Cependant, suite aux évolutions de la société, le métier d’éditeur connait des mutations et c’est la logique du marché qui prend le pas sur la dimension intellectuelle. A l’image de  Pantheon Books  racheté par Random House, toutes les maisons d’éditions indépendantes vont être absorbées par des conglomérats dont la principale vocation est de faire du profit. Ce qui ne va pas manquer de transformer le livre en produit marchand. André Schiffrin prend donc le temps de décrire cette évolution et dénonce l’uniformité culturelle que cela a provoquée. L’édition est désormais un investissement et un éditeur, un financier et un commercial. De ce fait, la chasse est donnée aux éventuels best-sellers et le paysage éditorial se restreint considérablement. Seule la notion de rentabilité prime.

En réponse à cela, l’auteur nous raconte son départ de Pantheon Books pour créer sa propre maison d’édition, The New Press, dont le but était non lucratif. Il démontre alors à quel point l’indépendance est essentielle et que des moyens existent pour la conserver, tels que l’augmentation des subventions publiques ou encore l’aide possible des fondations et des associations. C’est dans un autre de ses essais, intitulé L’argent et les mots (dont la fiche est aussi disponible sur le site), qu’André Schiffrin expose la situation française et les solutions possibles pour contrer cette logique capitaliste.

En parallèle de ce phénomène malheureusement délaissé par les médias, l’auteur s’attarde aussi sur l’émergence et la progression du numérique. Si dans le domaine de l’édition, l’ordre n’est plus à l’intégrité et à la rigueur intellectuelle, c’est dorénavant l’Internet qui rythme la production littéraire. En effet, c’est ce médium qui multiplie les initiatives, qu’elles soient bonnes ou mauvaises. On ne peut désormais plus passer à côté des distributeurs comme Amazon, des plateformes d’autoédition et de cette nouvelle forme de publicité qui repose sur une notoriété à base de bénéfices.

Si l’approche de cet ouvrage est essentiellement portée sur le monde de l’édition, les observations et les remarques qu’il contient, peuvent très bien s’appliquer au domaine de la librairie ou encore de la presse. André Schiffrin dénonce ce système où l’argent régit tout et où on se retrouve face à un phénomène de concentration de masse. Les exigences littéraires n’ont plus lieu d’être et l’indépendance disparait lentement mais surement. Enfin, le titre de l’essai lui-même sous-entend déjà une possible ouverture, celle d’une édition sans éditeurs.

L’Édition sans éditeurs, aux éditions La Fabrique, publié en 1999 et écrit par André Schiffrin.
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