Editeuriales n°1, rencontre des éditions Julliard et de Jean Teulé
Poitiers, Médiathèque François-Mitterand, 4 avril 2015
C’est une première pour le réseau des bibliothèques de Poitiers : le but de ces Editeuriales de mettre en regard un auteur et son éditeur. Pour cette première édition, la ville accueille la maison Julliard, avec Jean Teulé, Philippe Besson, Fouad Laroui, Lionel Duroy, Samuel Doux, Sophie Brocas, Murielle Magellan et Mazarine Pingeot.
La maison d’édition Julliard est actuellement tenue par Betty Mialet, qui la représente aujourd’hui, et Bernard Barrault.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, Alain Claeys, maire de Poitiers, signale que le conseil municipal a passé un contrat avec le Ministère de la Culture pour maintenir sur trois ans les crédits municipaux pour la culture.
Jean Teulé a publié toutes ses œuvres chez Julliard, ce qui représente 15 romans depuis 1992. C’est assez rare qu’un auteur reste aussi fidèle à son éditeur. Il nous présente ce jour Héloïse, ouille !, qui est sorti le mois dernier.
Question : Comment avez-vous trouvé le sujet ?
(Pour rappel, ce dernier roman relate l’histoire d’Héloïse Abélard, abbesse, et de son mari, l’abbé Pierre Abélard, dont la vie sexuelle était torride, jusqu’à ce qu’on coupe les couilles du monsieur, d’où le titre !).
Jean Teulé : je ne sais pas. L’idée m’est venue soudainement en juin 2013, dans ma cuisine, alors que je me préparais à sortir dîner. Le sujet, le titre et la couverture me sont venus en 4 secondes.
Bernard Barrault, à l’écoute du titre, est resté stoïque et a seulement consulté internet pour s’assurer que le titre n’était pas déjà pris ! Sur 4630 livres publiés au sujet d’Héloïse Abélard dans le monde, aucun n’était intitulé ainsi…
Question : C’est un auteur parfait !? Il fait tout le travail de l’éditeur en trouvant le titre et la maquette de la couverture.
Betty Mialet : Le seul moment où il est angoissant, c’est lorsqu’il ne connaît pas son sujet.
JT : il y a un grand travail de documentation sur la vie des personnages, ainsi que la vie quotidienne et sexuelle du Moyen-Âge. Ça prend 6 mois, et la rédaction commence ensuite.
Question : C’est, et à la fois ça n’est pas, un roman historique. Et malgré tout, Héloïse n’est pas totalement incompatible avec un roman populaire, , même s’il est très détaillé.
JT : La chance pour moi a été le grand échange épistolaire entre l’abbé Abélard et Héloïse. Tous les historiens disent que l’amour s’est inventé s’est inventé au XIIe siècle, et qu’avant il n’y avait que des mariages arrangés ou l’amour courtois (« des trucs à la con »). On appelle leur histoire « amour éternel », comme Roméo et Juliette mais en vrai, on dit d’eux qu’ils « rentrent dans le dur » (!), ils sont encore ensemble dans la tombe.
Question : Un amour un peu particulier effectivement ! leur conception de l’amour est décoiffante et moderne ! L’écriture est du Teulé pur, mais du Moyen-Âge.
JT : pour le style, je voulais que ce soit à la fois comme raconter à mes potes et ajouter des formes de l’époque pour être quand même dans l’ambiance. S’il n’y avait que le langage de l’époque, ce serait en latin !
BM : c’est la spécificité de Jean de créer cette langue. Il a un esprit « Charlie » ou plutôt « Harakiri », dont il est issu. Il a cette capacité de placer les images et les odeurs dans la tête des gens.
Question : Il y a quand même des anachronismes et des scènes torrides.
JT : les historiens passent toujours rapidement sur la partie sexuelle en une phrase pour enchaîner sur la castration de l’abbé !
Question : On dit que Héloïse est bien plus Rock’n Roll que son mari, qui finit par rentrer dans le rang.
JT : il a plus sacrifié ! (on ne sait d’ailleurs pas exactement ce qui a été tranché, entre la bite ou les couilles). Donc ça a refroidi ses ardeurs, mais pas celles d’Héloïse. Elle est d’une telle modernité qu’elle serait en avance sur son temps encore aujourd’hui. Elle avait une règle du jeu avec lui : « tout ce que tu me fais, je te le fais. ». L’abbé avait beaucoup d’idées ! Elle était très féministe et dans la réciprocité (là où 50 nuances de Grey ou le marquis de Sade sont tous dans l’unilatéral, l’homme donnant et la femme recevant). C’est Héloïse qui a nommé leur fils Astrolabe (du nom d’un instrument de mesure, plutôt que d’un nom chrétien), et elle est entrée au couvent par amour pour Abélard alors qu’elle ne croyait pas en Dieu.
Lui est devenu chiant et cul-béni ; il ne jurait que par la logique (il a même voulu décortiquer le catholicisme, ce qui lui a valu des ennuis avec les conciles, les tribunaux ecclésiastiques : il a été condamné à brûler tous ses livres, au silence perpétuel, il a aussi été interdit d’entrer dans une église). Il a dû fuir à trois reprises les abbayes pour sauver sa vie. Il savait qu’il finirait par y passer, donc il a demandé à Héloïse qu’à sa mort son corps soit enterré là où elle vivait. Il est donc l’un des rares abbés à avoir été enterré dans un couvent. Il est mort à l’âge de 63 ans. Héloïse est décédée 20 ans plus tard, exactement au même âge. La légende raconte que, lorsqu’on a balancé son corps dans la tombe de l’abbé, ce qu’il restait du corps de celui-ci a enserré le corps de l’abbesse dans ses bras ! Ils sont encore enterrés ainsi aujourd’hui, au cimetière du Père Lachaise.
Question : Fiction ou réalité ? C’est parfois surréaliste de penser que l’abbé puisse rentrer aussi facilement chez le chanoine (qui est l’oncle d’Héloïse).
JT : c’est la réalité de l’histoire apparemment ! Le chanoine a été le dernier de la maisonnée au courant !
Question : C’est dans cette première partie que vous êtes le plus inventif du point de vue de la langue.
JT : je trouvais plus sympa de décrire des scènes de sexe dans lesquelles on s’amuse, contrairement aux 50 nuances où c’est assez plan-plan.
Question : Quelle a été la première réaction des éditeurs à la première lecture ?
BM : c’était à la fois un choc et une totale approbation de la part des deux. Le deuxième éditeur, Bernard Barrault ne sort jamais mais lit beaucoup. Tous deux veulent suivre les auteurs dans leur évolution vers une plus grande maturité d’écriture, donc ils font tout pour les garder.
JT : mes premiers écrits ont eu peu de succès, et avant je faisais des interviews de Sylvie Vartan, ce qui ne me plaisait pas trop !
Question : Si un autre auteur arrive avec un tel texte, que faites-vous ?
BM : nous avons beaucoup discuté avant de publier, c’était quitte ou double (soit un succès, soit Teulé perd ses lecteurs). Ça a été le même pari avec le Magasin des suicides, à la suite du Montespan. Nous respectons la personnalité des auteurs et les suivons…
JT : … même s’ils sont tous fous, je suis le plus calme !
Question : Avez-vous tenté d’édulcorer le langage ?
BM : on a tenté, un peu. Jean a dit non. Et ça marche !
Question : Vous surprenez toujours en vous réinventant, Jean ! Vous n’exploitez pas un filon à succès, vous préférez prendre des risques, comme vos éditeurs…
JT : je ne pourrais pas changer d’éditeur, même si d’autres ont tenté de me débaucher. Je leur reste fidèle parce qu’ils m’ont suivi quand mes textes marchaient peu. Au début, ils devaient me donner trop d’a valoir pour que je puisse vivre de mes écrits. Ils étaient en perte, jusqu’à Verlaine. Aujourd’hui, ils gagnent plus d’argent avec moi, ce qui leur permet d’autres auteurs qui se lancent lentement.
Question : Pouvez-vous nous raconter votre histoire avec la prison de la Pierre Levée, à Poitiers ?
JT : un bibliothécaire de la prison m’a invité à la demande des prisonniers. Le climat était bizarre à mon arrivée à cause de problèmes internes. Ça me paraissait être un bon sujet de roman, donc j’ai visité d’autres prisons, et en ai fait Longue peine.
Question : Les idées vous viennent toujours par flash ?
JT : Toujours ! Mes amis le savent, quand je cherche des idées, je deviens chiant.
Après le Montespan, la critique m’a lynché. Je pensais qu’un autre roman ne pourrait être que pire et, dépité, je tapais sans arrêt « lynchage » ou « massacre » sur internet. C’est comme ça que je suis tombé sur l’histoire de faits divers qui m’a donné la base de Mangez-le si vous voulez. Mes amis m’ont dit que j’avais tellement peur de me faire lyncher que j’essayais d’orienter mes lecteurs pour qu’ils n’aillent pas jusqu’à me manger !
Question : Et pour la suite ? Je suppose que vous n’avez pas encore l’idée du prochain sujet ?
JT : un journaliste m’a posé la question récemment. Je lui ai dit répondu « non, comme a dit le Christ, un clou après l’autre ». Ma mère, qui a refusé de lire ce livre, a cru que le Christ avait vraiment dit cela et est en train de relire la crucifixion pour vérifier !
Question : Comment allez-vous traduire ce roman ?
BM : l’équipe de travail avec l’étranger s’inquiète effectivement à ce sujet !
JT : il faudrait commencer avec le latin !
Question : Que lit Jean Teulé ?
JT : uniquement des documentaires pour apprendre quelque chose, toujours, sauf, si c’est le roman d’un ami. Je suis en permanence dans les livres pour l’écriture, et j’ai peur de découvrir un auteur que je préfèrerais à l’écriture !
Question : Pensez-vous faire un roman futuriste par la suite ?
JT : Le Magasin des suicides est futuriste. J’en ai un autre en cours, futuriste. Il s’appelle La Boule à neige. Je le reprend entre chaque roman mais je ne trouve jamais la conclusion.