Qui n’a jamais voulu avoir un accès gratuit et illimité aux livres, et tout cela légalement ? Avec la nouvelle start up française Youboox, tout cela est désormais possible ! Crée en mars 2012, elle propose une offre pour « découvrir, lire et partager gratuitement et en toute légalité des milliers de livres numériques ». 

Quelques lignes pour présenter ce concept prometteur. En premier lieu, il faut savoir que la première  plate-forme à mettre en place ce concept est espagnole 24symbols. Le concept se veut simple et accessible à tous, Youboox propose un accès gratuit et légal, grâce au système du streaming, habituellement utilisé pour les vidéos et la musique avec des sites comme Deezer et Spotify, il se décline désormais pour l’e-book. Youboox met place le même fonctionnement que les plate-formes de musiques en streaming. Il met à disposition du lecteur deux offres :

  • Une offre Freemium : jusqu’ici inédite dans le monde francophone. Elle comprend une inscription gratuite qui permet une lecture illimitée et gratuite en ligne. Cette formule donne accès à la bibliothèque partagée par le cloud, à des conseils et critiques éditoriales pour favoriser la découverte de nouvelles œuvres, ainsi que des notations et recommandations de livres par la communauté. Le lecteur peut aussi partager ses lectures sur les réseaux sociaux. Les contraintes de cette offre : La contre-partie de cette gratuité est la présence de bannières publicitaires pendant la lecture. De plus, pour accéder à ses lectures, le lecteur doit disposer d’une connexion internet.

  • Une offre Premium qui n’est pas encore disponible, la plate-forme est encore en développement (disponible fin 2012). Le lecteur pour accéder à cette offre devra payer 9,99€/mois ainsi il disposera d’un service réservé aux abonnés avec un accès illimité et sans publicité à une sélection de livres plus étendue. De plus, le lecteur pourra consulter les livres en mode hors connexion et ainsi disposer de sa bibliothèque Youboox partout.

Youboox s’appuie sur la dimension communautaire pour pouvoir se développer. D’ailleurs, le nom de la plate-forme montre bien l’accent mis sur cette communauté : You/boox. « You » pour nos lectures, nos partages, notre activité sur le site et « boox », le x pour le jeu phonétique, et donc pour les livres mis à disposition. Youboox propose une offre plutôt alléchante qui demande une observation attentive pour savoir de quoi il est réellement question.

  • Un projet qui se veut simple et humaniste.

Vidéo de présentation

Tout d’abord, nous allons nous intéresser au spot publicitaire de la plate-forme. Publicité qui souhaite montrer la facilité d’accès aux livres. On retrouve donc le lieu commun de la publicité qui touche le numérique : la simplicité. Le but est de montrer que les nouvelles pratiques numériques sont des plus évidentes, et font déjà parties de nous et de notre quotidien. Ce topos publicitaire se retrouve dans la vidéo de présentation de la plate-forme. Le premier aspect qui met en avant cette simplicité est le dessin. En effet, les personnages sont crées en trois traits de crayons, juste de quoi discerner l’homme de la femme. Les mimiques sont assez pauvres, les personnages peuvent être étonnés ou souriants, rien entre les deux. Aucune place n’est laissé à la complexité, le message doit être clair : il est facile d’accéder à la plate-forme et aux livres.

Cette simplicité, dans cette publicité, prend la forme du stéréotype. On peut l’observer dans la représentation des thèmes abordés dans les livres proposés comme le roman policier et le livre de cuisine. 

Img 1

Les publicitaires font alors appels aux clichés pour faire signifier ces thèmes : un policier américain et bien sur le cuisinier avec sa toque.  (cf: img 1)

Il en est de même dans la représentation des personnages. Youboox se veut, par sa simplicité d’utilisation, être accessible à tous. C’est pourquoi, le stéréotype du plus expert en informatique à celui du plus novice sont représentés pour mettre en avant cette égalité d’accès. Ainsi, on peut noter la présence d’un geek reconnaissable à ses lunettes carrés, à son tee shirt superman et à son regard confiant lorsqu’il utilise son ordinateur, le parisien/cadre dynamique dans le métro que l’on identifie aisément par son port du costume-cravate dans le métro. 

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La femme a elle aussi accès à cette plate-forme. En effet, la mixité dans les publicités touchant aux nouvelles technologies est de plus en plus présente, elle permet une fois encore, de mettre en avant la simplicité, l’idée est que même les femmes qui sont vues comme moins expertes, ou du moins, naturellement moins disposée à l’appréhension de l’espace numérique, peuvent utiliser ces objets et découvrir leurs nouvelles pratiques. Dans cette publicité, deux « types » de femmes sont présentées, on a tout d’abord la femme active, dynamique qui prend le temps entre deux rendez-vous de lire un livre avec son café et pour finir, la femme lambda qui s’essaye à la tablette, et à en voir son grand sourire, prend plaisir à lire. (cf: img 2)

On peut voir que la représentation du public visé est des plus simple et stéréotypée. On peut même parler d’un public simplet à voir leurs regards béats et émerveillés devant cette nouvelle plate forme. Youboox est mis en avant comme porteur de connaissances et d’exclusivité, du jamais vu, à l’image d’une grande découverte.

La simplicité se retrouve aussi dans le concept même de la plate-forme, le fonctionnement semble relever de l’évidence. La clé d’accès à tous ces privilèges : une simple inscription, l’équipe Youboox fait le reste pour vous. On peut observer cette notion d’utopie dans le concept Youboox. En effet, en faisant appel à de grandes concepts humanistes comme la gratuité, l’accès pour tous, l’illimité ou encore le partage, la plate-forme tente de nous vendre une totalité, celle de la connaissance. De plus, avec l’utilisation streaming, Youboox met en avant l’idée que le livre est désormais de même ordre que la musique ou la vidéo, on écoute une musique comme on lit un livre. Le livre est désacralisé, le livre que l’on pouvait voir comme objet destiné aux avertis, devient désormais consultable par une totalité. Le streaming adapté au livre va dans le sens de cet humanisme avec l’envie d’un accès à la lecture pour tous: « L’objet de Youboox n’est pas de vendre des livres, mais de fournir un abonnement ou un accès unique pour une lecture à l’acte, comme une bibliothèque. »  propos de la présidente de Youboox, Hélène Mérillon.

Une bibliothèque Youboox

De plus, le streaming fonctionne comme une lecture en continu. Il permet la lecture d’un contenu à mesure qu’il est diffusé. Le contenu peut être consulté mais on ne pas le posséder, ni le modifier. Le streaming qui permet seulement la consultation est intéressant au niveau de la légalité. Pour Fabien Sauleman, le cofondateur de Youboox « les enjeux du piratage pour des livres que l’on peut lire gratuitement sont moins importants que dans le cadre d’une offre payante« . C’est pourquoi, Youboox se veut être une plate-forme qui lutte contre le piratage en proposant une offre légal et gratuite. La plate forme s’inspire du modèle du streaming musical comme Deezer et Spotify qui a contribué en grande partie à la baisse du piratage musical. Cependant, certains points de cette conception de la start-up peuvent nuancés cette conception humaniste.

  • La gratuité grâce à la publicité.

Il faut désormais confronter cette vision de la lecture gratuite à la réalité de cette offre, une invitation à la lecture illimité et gratuite, certes mais elle implique plusieurs compromis. Le compromis qui pose le plus de questions est celui de la publicité pour obtenir la gratuité. Avec l’offre freemium, qui propose une lecture gratuite, si on accepte la présence d’une publicité au dessus du texte. L’ajout d’une publicité sur un texte pose problème, en particulier, au niveau de la conception du livre et de ce qu’il représente culturellement. L’initiative de Youboox pourrait être justifiée par le fait que le livre électronique, par son aspect dématérialisé introduit un nouveau rapport à l’objet, moins complice et moins durable. La dématérialisation permettrait de placer une publicité facilement, le livre n’étant plus considéré comme tel, le rapport entre livre numérique et lecteur n’étant plus aussi affectif, l’ajout de publicités parait moins choquant voire normal. De plus, elle permet de justifier la gratuité. Cependant, cette conception nie le contenu du livre et ce qu’il représente intellectuellement et culturellement. L’ajout de cette publicité à côté du texte montre que le livre se résume à son statut d’objet. En imposant une publicité sur e-book on porte atteinte directement à un contenu. Accepter la présence d’une bannière publicitaire au dessus du texte s’apparenterait à considérer le livre comme un objet de consommation, et diminuer la conception humaniste de son contenu. Le livre devient ainsi un objet de consommation comme un autre, après la musique, la vidéo, le livre y est confronté.

L’e-book et sa bannière publicitaire sur Youboox

Sébastien Naeco: « Si on considère que le livre n’est pas un produit comme les autres, pourquoi vouloir forcément le corrompre, l’entacher avec des pixels dynamiques et sponsorisés, pourquoi le traiter comme un vulgaire support de promotion ? Pourquoi chercher nécessairement à vouloir pénétrer le moment de la lecture et pourquoi le justifier par la gratuité ? » Blog Le Monde

Pour la présidente de Youboox, Hélène Mérillon ces publicités ne posent aucun problème aux lecteurs: « Les clients Youboox que nous avons interrogés nous affirment qu’ils ne sont aucunement gênés par les publicités. Le principe est bien compris, d’autant plus qu’il existe déjà dans la musique et la vidéo.  » On peut pointer le paradoxe exprimé dans cette déclaration. Les publicités présentes ont pour but d’être lues cependant la directrice affirme qu’elles ne gênent pas la lecture, cela veut donc dire que le lecteur ne regarde pas ces publicités pour ne pas être troublé dans sa lecture. Il fait abstraction de cette publicité. Donc, la publicité qui est présente pour être vue et ainsi inciter à la consommation devient inutile et ne présente aucun intérêt. Dans l’autre cas, si le lecteur lit cette publicité, il est contraint à être dérangé dans sa lecture. La publicité lue ou non lue est donc imposée.

Le deuxième paradoxe est celui de la gratuité. Pourquoi parler de gratuité quand on doit payer pour ne plus subir la présence d’une publicité indésirable ? Youboox, en rendant gratuit l’accès aux livres, ce ne sont plus des lecteurs qui payent pour accéder à un contenu qu’ils désirent mais des acteurs économiques qui n’ont aucune considération pour la diversité éditoriale et culturelle qui se retrouvent chargés de l’apport économique. Leur seul but étant d’introduire des publicités pour des produits et des services afin d’inciter à l’achat de tout et n’importe quoi. La question est : faut-il payer pour un livre que l’on désir et être acteur de la rétribution des acteurs du livre ou le consulter gratuitement en encourageant au second plan l’industrie publicitaire ?

François Bon :  « Ce qui est bizarre, c’est ce paradigme : s’incliner devant la consommation de masse, et évidemment plus elle est abjecte plus elle a les moyens, pour sauver nos contenus esthétiques ou intellectuels. »  Tiers Livre.

  • Youboox : un nouveau modèle économique.

Ce fonctionnement où la publicité permet la gratuité met en avant un modèle économique plutôt original dans le domaine du livre. En effet, avec le streaming et les abonnements, Youboox bouleverse la commercialisation du livre mais aussi la rémunération des éditeurs. On peut dire qu’il invente une nouvelle manière de valoriser un catalogue éditorial. C’est-à-dire : son modèle économique : « une page lue sur youboox = 1 rémunération » pour l’éditeur. Les revenus publicitaires ou d’abonnement (quand il sera mit en place) sont répartis en proportion du nombre de pages lues aux éditeurs partenaires. Donc, avec ces revenus, Youboox finance et rétribue les éditeurs avec ce nouvel aspect « en proportion du nombre de pages lues« . Youboox se démarque du modèle habituel de vente au détail où le livre est acheté à l’unité (cf : circuit). Un modèle intéressant pour les éditeurs qui peuvent gagner plus qu’avec la vente à l’unité. Un gain d’argent qui peut fluctuer. Ce modèle économique rentabilise l’éditeur selon les mouvements du livre qu’il a mis à disposition.


Circuit

On peut donc parler de vente à l’usage : ici la dématérialisation prend tout son sens, en librairie on achète un objet livre et son contenu. L’éditeur et l’auteur sont rémunérés au nombre d’objets vendus. Or, ici le lecteur lit le nombre de pages qu’il souhaite, les bénéfices de l’auteur dépendront de sa lecture. Le contenu lu est le seul à décider du revenu de l’éditeur. La dématérialisation gagne un cran, ici car le livre n’est plus qu’un certain nombre de pages. Si le lecteur n’est pas convaincu, l’éditeur sera rémunéré en conséquence. Les fondateurs du site parlent d’une véritable opportunité pour les éditeurs, qui en déposant les textes sur le site peuvent « donner de la visibilité à leur catalogue d’œuvres numériques » mais aussi et surtout « des revenus complémentaires auprès de cibles de lecteurs qui n’auraient probablement pas acheté ces livres »En notant le mot  « cibles », on peut mettre en évidence la dimension purement commerciale de ce modèle économique, si les éditeurs veulent que ses livres se vendent, ils devront mettre à disposition des textes qui plaisent au plus grand nombre. On risque alors de relayer au second plan l’une des missions des maisons d’édition qui est de promouvoir la diversité culturelle et ainsi mettre en avant seulement les livres que le plus grand nombre de lecteurs lisent et ainsi diminuer les propositions d’œuvres inattendues qui ne correspondent pas à la demande.

Youboox appuie sur la dimension commerciale avec ce modèle économique. De plus, l’équipe de Youboox ne présente que des spécialistes en marketing et par conséquent aucun professionnel du livre, même si la plate-forme accueille des maisons d’édition. C’est pourquoi, l’aspect commercial passe avant l’engagement de proposer une diversité éditoriale. Le blog Youboox qui contient « de nombreuses critiques pour vous guider dans vos choix » (cf : la vidéo de présentation) va aussi dans ce sens, étant donné qu’il ne présente pas des livres qui sortent de l’ordinaire mais plutôt encourage les livres dont le thème est sûr de plaire, on retrouve en grande partie des policiers. Aucune prise de risque dans cet onglet, lieu pourtant idéal pour faire découvrir des textes singuliers. On reste, alors, dans une dimension où le but premier n’est pas de découvrir de nouveaux textes mais plutôt de faire lire pour obtenir des bénéfices.

  • Youboox : quand le livre vous lit.

La potentielle absence de diversité éditoriale n’est pas le seul bémol que l’on peut accorder à cette plate-forme, il en est un plus problématique. Avec une activité communautaire permise par le forum et la lecture en streaming, Youboox peut obtenir des informations sur le volume de lecture de chaque lecteur ainsi que sur la quantité des données et des renseignements que la plate-forme peut obtenir en « observant attentivement » nos lectures et nos agissements sur le site. On peut d’ailleurs apprécier, la déclaration d’Hélène Mérillon pour le site ActuaLitté, à propos de la rémunération à la page lue: « C’est un système honnête, et qui nous permet en outre d’obtenir des informations sur la manière dont sont lus les livres, et de définir des usages. » On peut donc voir notre confidentialité de lecture disparaître. Cette récupération de données mène à un effet miroir de la lecture, le lecteur lit le livre et le livre lit son lecteur. On peut faire un parallèle avec l’appel des 451 qui réclament le respect des droits du lecteur et en particulier à la garantie de la propriété, permanence des usages collectifs et respect de la confidentialité. Il faut rappeler que le livre est lié à la liberté.

On peut illustrer notre propos par cette phrase prononcée par le juriste américain Eben Moglen lors de la conférence Re:Publica à Berlin :

« Nous étions des consommateurs de médias, mais maintenant, les médias nous consomment. Les objets que nous lisons nous lisent pendant que nous les lisons ; les choses que nous écoutons nous écoutent pendant que nous les écoutons ; les choses que nous regardons nous regardent pendant que nous les regardons. »

On peut rester septique quant à l’utilisation de ces données, la directrice de Youboox parle de comprendre les usages de lecture, ceci peut être positif si ces données sont utilisées afin de proposer de nouvelles possibilités de lecture, et ainsi inciter le lecteur à découvrir de nouvelles choses. Cependant, elles peuvent aussi déboucher à des propositions trop importantes qui pourrait alors perdre le lecteur dans ces choix, en croulant sous les propositions diverses et parfois peu pertinentes.

  • Conclusion.

Malgré son offre intéressante, la plate-forme admet un certain nombre de limites. Dans un premier temps, les fichiers mis à disposition par les éditeurs sont en format PDF, format qui n’est pas le plus adapté pour la lecture sur tablette ou liseuse. On préférera le format Epub qui s’adapte au support sur lequel il est lu. De plus, les lecteurs qui choisiront l’offre freemium devront avoir accès à internet pour consulter les livres, donc, si le lecteur ne possède qu’un iPad Wi-Fi, il ne peut lire que dans les endroits couvert par le réseau, ce qui exclu les lieux privilégiés de lectures sur tablettes qui sont le train, le métro, l’avion… La présidente de Youboox reconnaît cette limite : « Le fait de devoir être connecté, et de préférence en WiFi, pour assurer la lecture en streaming reste une solution  contraignante. » Petite nouveauté cependant qui facilite l’accès à la plate-forme, l’application est désormais disponible, en plus de l’Apple Store, sur Windows Store. Pour les autres, il faudra consulter le site, ce qui est moins pratique qu’une application. Il faut tout de même souligner que le site est encore récent et donc en plein développement.

La plate-forme, pour faire face à la concurrence des autres systèmes de mise en ligne d’e-book, devra confirmer sa viabilité économique qui se jouera avant tout via la communauté de lecteurs que Youboox aura pu constituer, ainsi que stabiliser son modèle économique qui apparaît plus complexe que ceux dit  « traditionnels ». Pour l’instant, le site compte, depuis l’ouverture de la bêta plus de 3 millions de pages lues, 40 éditeurs et 28 000 lecteur, au 13 décembre 2012. De plus, le site a suscité l’intérêt, le 22 octobre 2012, en créant le prix du livre numérique. Une belle publicité pour un site en devenir. Pour en savoir plus sur ce prix.

Logo prix du livre numérique

Youboox tente en particulier de répondre à la question du modèle économique, qui reste encore très floue de par le problème des DRM, du piratage mais aussi par le nouvel écosystème que le numérique met en place. Cette nouvelle plate-forme est un véritable témoin de cette période charnière, de cette instabilité due au développement encore récent de la lecture numérique. Youboox tente de répondre aux nouveaux usages de lecture. Cependant, ces usages n’étant pas encore clairement définis, nous ne pouvons dire si cette plate-forme et le système qu’elle propose va perdurer.

 

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