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Référence

Auteur : Jean-Gabriel Carasso, Nos enfants ont-ils droit à l’art et à la culture ? Éditions de l’attribut, France, mars 2005, 119 pages.

 

Présentation de l’auteur

Jean-Gabriel Carasso est auteur et réalisateur. Il a étudié la politique à Grenoble. C’est également un homme de théâtre (comédien et metteur en scène). Il a enseigné à l’Institut d’études théâtrales à paris III – Sorbonne nouvelle et au Conservatoire national art dramatique de Paris. Héritier des CEMEA et ancien élève de l’école internationale Jacques Lecoq, il s’intéresse énormément au travail de formation pédagogique. Il a été pendant douze années directeur de l’Anrat (association nationale de recherche et d’action théâtrale). Il dirige l’OiZeau rare, association d’études et de recherches culturelles.
Jean-Gabriel Carasso est l’auteur de :
Nos enfants ont-ils droit à l’art et à la culture ? (2005)
Art, culture, éducation au cœur d’une passion (2008)
Jérôme Thomas, en collaboration avec Jean Claude Lallias (2010)

 

Sujet et mots clefs

J-G Carasso s’interroge sur la façon d’intégrer l’éducation artistique et culturelle dans les établissements scolaires. Pourquoi l’éducation artistique et culturelle est indispensable pour « fabriquer des humains », de vrais citoyens du monde ?
A travers cet ouvrage, nous découvrons une mise en perspective des enjeux passés et à venir de l’éducation artistique et culturelle. Il invite également aux « décideurs » du monde de la culture à se poser de véritables questions à propos de la transmission culturelle aux plus jeunes.

 

Résumé et grandes idées

Préface de Robin Renucci : l’expérience à l’origine de la pensée
Robin Renucci insiste sur le fait que l’éducation culturelle et artistique est trop souvent négligée alors qu’elle est fondatrice et essentielle afin de former des citoyens. Il cite des hommes de théâtre (Jacques Copeau, Antoine Vitez, Jean Dasté et Jacques Lecoq) dont le travail auprès des jeunes publics a été reconnu universellement. Former des citoyens libres et actifs fait partie du rôle de l’école et celle-ci n’y parviendra pas sans une profonde réforme. Ainsi, J-G Carasso s’interroge dans ce manifeste sur ce point : comment captiver les élèves plutôt que de les rendre captifs ?

J’enrage !
J-G Carasso donne dès le début le ton de son ouvrage : il enrage de voir les « jeunes cerveaux disponibles » complétement manipulés par la publicité et que rien (ou très peu) ne soit pensé pour les éduquer au monde de la culture.
Le manifeste est ensuite divisé en onze parties.

 

  1. Un paradoxe

J-G Carasso nous plonge dans un « monde idéal » dans lequel tout serait mis en place pour que l’éducation artistique et culturelle soit dans le programme : des enseignants qui reçoivent l’aide d’artistes pour des projets artistiques, des IUFM qui offriraient aux enseignants une formation afin de les aider à mettre en place de tels projets, les établissements artistiques qui recevraient un enseignement pédagogique, les médias qui feraient connaître et mettraient en valeur l’aboutissement des projets mis en place… 

Il reconnaît certains progrès depuis un demi-siècle :

Au sein de l’éducation nationale :

  • Projets d’actions éducatives
  • Classes à projet artistique et culturel
  • Ateliers de pratique artistique
  • Options théâtre, danse ou cinéma au baccalauréat
  • Missions pour l’action culturelle
  • Loi de 1988
  • Plan à 5 ans pour les arts à l’école

Avec les collectivités territoriales :

  • Plans locaux pour l’éducation artistique
  • Sites départementaux
  • Danse à l’école
  • Ecole ou collège et cinéma

Malgré toutes ces avancées, l’institution scolaire résiste au développement de ces activités : les moyens donnés à l’éducation nationale ne sont pas suffisants. Mais les transformations du monde nous obligent à imaginer les conditions concrètes du développement d’une véritable politique de l’éducation artistique et culturelle en France.

 

  1. Un monde en mouvement

Beaucoup de choses évoluent dans le monde actuel (moyens de communication, famille, religion). Il est centré sur l’individualisation et la consommation et c’est par une éducation culturelle que nous pourrons supporter et nous adapter à ces changements.
Si nous regardons de loin, tout semble aller pour le mieux pour la culture : beaucoup de propositions artistiques, de musées, de bibliothèques… L’ensemble du territoire est recouvert de structures culturelles proposant au public des œuvres diversifiées. Malgré tout le modèle français de démocratisation culturelle est très ébranlé :

  • En 1989, une étude sur Les Pratiques culturelles des Français révèle que 15 à 20% de la population fréquente les établissements culturels. Cela fait remettre en question la politique culturelle : pour quels publics ?
  • Le 21 avril 2002 : l’extrême droite apparaît lors du premier tour de l’élection présidentielle.
  • Juin 2003 : les artistes et techniciens intermittents du spectacle réagissent par des grèves et des annulations de festival au nouveau protocole fixant les conditions de leur indemnisation dans leur période de chômage.

L’éducation artistique et culturelle voudrait répondre aux enjeux de la culture et aux préoccupations éducatives. Mais il s’agirait de définir ce qu’est exactement l’éducation artistique et culturelle. Quelles pratiques, quels objectifs et pourquoi ?

 

  1. Les mots et les choses

 Les matières artistiques enseignées dans les institutions scolaires se placent bien derrière les matières nobles (sciences, lettres…). On ne leur laisse qu’une place minime ne sont donc pas prises au sérieux par les parents comme par les professeurs.

Beaucoup de personnes rejoignent l’avis de Jules Ferry : « A bien des égards, ce n’est pas la motivation qui fonde le travail, mais l’inverse. N’ayons pas peur des mots : la culture scolaire peut et doit être passionnante, mais sa finalité première n’est pas de divertir. Il y a bien d’autres lieux pour cela… ». Quant aux structures mises en place à côté des écoles (conservatoire, écoles d’art), elles visent un objectif de professionnalisation et recherchent les meilleurs. Leur but n’est pas de faire découvrir, d’ouvrir l’esprit aux jeunes.
C’est pour se démarquer de ces conditions disciplinaires restrictives qu’enseignants, artistes, animateurs culturels… tentent d’imposer cette éducation.
J-G Carasso nous offre une définition des termes « art » et « culture ». Ainsi l’art implique l’œuvre et la culture est le rapport aux œuvres.
L’action artistique est verticale : tend à approfondir la création par la formation des artistes.
L’action culturelle est horizontale : vise à élargir le champ des publics, à étendre la palette des œuvres concernées.
Il faut insister sur la complémentarité de ces deux axes (sensibilisation et développement de la pratique artistique alliée à l’initiation à l’approche culturelle du monde).

 

  1. Pour quoi faire ?

J-G Carasso rapporte ce que peut véhiculer l’éducation artistique et culturelle : confiance en soi, tolérance, développement de l’imaginaire, formation de la personnalité, identité culturelle…

Découvrir, apprendre, se construire : c’est par ces trois verbes que l’auteur répond à la question : pour quoi faire ?
L’éducation artistique et culturelle permet à l’enfant de découvrir un langage artistique (partition, lire une pièce de théâtre) et de, plus tard, s’intéresser à son histoire.
Elle lui fait découvrir également le comportement à adopter dans un musée ou une salle de théâtre. Elle permet également l’apprentissage : savoir comment s’adresser aux autres, maîtriser des couleurs, jouer d’un instrument…
Mais aussi apprendre à s’intégrer dans un groupe et à maîtriser un projet d’activité. Elle permet également la construction : en développant sa personnalité et en parvenant à s’affirmer, beaucoup d’enfants changent de comportement vis-à-vis des adultes à la suite d’un projet culturel. Le développement individuel se trouve renforcé par ce genre d’expériences.
C’est par l’art et grâce à l’art qu’un individu se forme et intègre les codes sociaux. Mais il faut faire attention à la manière dont est abordée cette éducation. Quels sont les pôles à développer ?

 

  1. Les trois pôles : faire, éprouver et découvrir

Dans les formations artistiques, c’est l’apprentissage concret qui l’emporte sur la théorie à l’inverse de l’apprentissage scolaire. J-G Carasso soulève un paradoxe important : il faut connaître plus que savoir-faire. L’éducation artistique et culturelle proposée aux groupes scolaires viendrait réparer ce paradoxe en alliant une pratique artistique à un travail intellectuel.
Faire : l’éducation artistique commence par l’activité, par les tentatives personnelles de chanter, danser, peindre, jouer un personnage… Le jeu permet à l’enfant de travailler son imaginaire, de tester ses goûts, développer sa personnalité. Passer par une pratique concrète, c’est aussi apprendre à l’enfant à s’exprimer.
Eprouver : vient ensuite le rapport à l’œuvre, une initiation à la lecture des arts par un médiateur. Celui-ci peut accompagner, rassurer l’enfant dans la découverte de quelque chose qu’il ne connaît pas ou peu.
Réfléchir : il faut ensuite avoir une réflexion sur les œuvres pour acquérir une meilleure perception de notre propre autonomie sensible.

 

  1. Parents, enseignants, artistes…

J-G Carasso cite les différents acteurs qui éveillent les enfants à la culture et à l’art.
Dans un premier temps, ce sont les parents qui, en lisant des contes, en les emmenant à des spectacles, les inscrivant à des activités… ont le rôle premier et leur permettent d’ouvrir une porte sur la culture. Ensuite, l’Ecole s’occupe de construire un rapport à l’art qui fait réfléchir l’enfant et l’arrache à ce que la télévision ou internet lui proposent.
Certains enseignants animent des activités ou projets mais d’autres ne veulent pas car ils considéreraient que ce n’est pas dans leur champ d’attribution. D’autres encore se sentent incompétents. Il faut donc des passeurs de ponts. Qui peuvent-ils être ?
L’artiste est apparu dans les classes depuis quelques années, sa présence ne remplace pas celle de l’enseignant, mais elle vient lui apporter une complémentarité. La présence physique des artistes dans les classes vient apporter aux jeunes une démystification de leur statut.
Viennent ensuite les médiateurs culturels, apparus depuis quelques années seulement. Cette fonction a été créée afin « de favoriser les rapprochements, d’accompagner les relations, de mettre en contact, de réduire l’écart. »

 

  1. Eloge du partenariat

Ce que l’on nomme aujourd’hui partenariat est la collaboration directe d’un ou plusieurs artistes avec un enseignement afin de mener un véritable projet concerté.
Au sein de l’éducation nationale, le partenariat est mis en œuvre dans le cadre de dispositifs : classes culturelles, classes à projet artistique et culturel, atelier de pratique artistique, option légère, option lourde…
Comment un bon partenariat peut fonctionner entre enseignants et artistes ?
– enseignant et artiste doivent être à l’écoute l’un de l’autre
– il est nécessaire qu’un artiste et un enseignant puissent se choisir, que le partenariat ne leur soit pas imposé
– il faut éviter l’instrumentalisation de l’autre, de l’utiliser à son profit plutôt que de profiter de sa différence
Il s’agit désormais de former les enseignants et les artistes afin de mettre en places ces partenariats.

 

  1. Urgence, former !

Une nouvelle génération d’enseignants arrive, qui ne connaît pas le même engagement que leurs aînés. Ceux-ci avaient vu naître La Ligue de l’enseignement, les Maisons des jeunes et de la culture, le festival d’Avignon et la décentralisation du théâtre. Après mai 68, les institutions avaient pris en compte les préoccupations générales de l’art et de la culture. Il faut mettre en place une transmission adaptée à ces nouveaux enseignants.
De plus, il faudrait inscrire la formation artistique et culturelle dans la formation des enseignants afin qu’ils aient pratiqué cet art et qu’ils aient bénéficié eux-mêmes des bienfaits de cette pratique, pour ensuite la transmettre aux enfants. Cette formation permettrait :

  • la capacité de faire le lien entre ces activités artistiques et l’enseignement qu’ils assurent
  • une maîtrise de la conduite de projets en partenariat

Les artistes quant à eux :

  • ont à comprendre le cadre administratif dans lequel ils évoluent
  • ont à apprécier le contexte et le projet éducatif proposé par l’enseignant
  • ont à percevoir les enjeux de leur présence
  • ont à savoir les moyens techniques adaptés aux publics d’enfants ou adolescents

Chaque acteur de la chaîne doit prendre conscience des enjeux d’une ouverture à la culture y compris les collectivités publiques.

Se pose ensuite cette question : la formation à mettre en place doit-elle être qualifiante ou diplômante ? La formation diplômante est compréhensible mais discutable, elle jette la suspicion sur des artistes talentueux qui ne voudraient pas spécialement se spécialiser dans le domaine de l’intervention et de la pédagogie.

 

  1. Une responsabilité partagée.

Les institutions et collectivités publiques devraient pouvoir s’entendre et s’engager dans un esprit de complémentarité (communes, départements, régions, Etat). L’éducation artistique et culturelle souffre de la tension perpétuelle entre les ministères de la culture et de l’éducation nationale. Le ministère de la Culture a été arraché à celui de l’Education nationale en 1959 et cela a créé une forte séparation : à l’école le sérieux, la raison et à la culture les paillettes et le spectacle. Il faut que les différentes institutions arrivent à s’entendre et à se mettre d’accord : le partage des responsabilités, la coordination des actions, la complémentarité des actions sont indispensables pour intégrer une politique artistique et culturelle intéressante.

 

  1. Ouvertures

J-G Carasso s’attarde dans cette partie sur les dangers, les espoirs et les pistes à venir.

Il faut à tout prix éviter que l’éducation artistique et culturelle se fasse en dehors de l’école : accepter cela équivaudrait à abandonner l’égalité des chances et d’évolution du système éducatif. Il faut continuer le combat et ne pas se contenter de ce qu’on a pour l’instant.
Il faut arrêter la poursuite d’une conception concurrentielle de l’éducation culturelle et artistique : cela ne ferait que la fragiliser.

Quelques espoirs malgré tout : le ministère de la Culture donnait 32 millions de francs en 2001 pour l’éducation artistique et culturelle et 39 millions d’euros en 2005.
Beaucoup de personnes reconnaissent l’utilité de ce domaine : enseignants, artistes, directeurs-rices de structures et d’institutions artistiques, fonctionnaires des directions centrales et régionales.
Les collectivités territoriales soutiennent beaucoup de projets en matière d’éducation artistique. Cette politique est encouragée et mise en avant.

Les pistes envisagées :
– Un débat public : afin de sortir le thème de sa marginalité
– Une fédération des convictions : il est impératif de réunir les énergies au service des convictions communes.
-Une structure de coopération : qui serait un véritable espace d’action et de mobilisation institutionnelles.
– Une concertation décentralisée: un espace démocratique de dialogue qui permettraient aux pouvoirs publics, aux collectivités territoriales et aux professionnels de clarifier ensemble les priorités.
– Un temps libéré : il faut libérer du temps et de l’espace afin de mettre en place ce type de projet.
– Une qualification des acteurs : il faut que les professeurs des écoles puissent avoir accès à une formation en « projet artistique et culturel » et, pour les artistes, la mise en place de modules de formation à l’intervention et la pédagogie.
– Une mise en réseau : mise en réseau des acteurs de terrain.
– Une politique des jeunes publics : faut favoriser la création jeunes publics.
– Un développement durable : l’éducation artistique et culturelle sera utile seulement si elle est suivie de la maternelle à l’université.

 

  1. Fabriquer des êtres humains

Nous sommes au 60ème anniversaire de la libération des camps de la mort. Il s’agirait de rendre hommage à tout ce qui s’est fait pour que les enfants puissent vivre la démocratisation culturelle. Aujourd’hui, il s’agirait de faire en sorte que l’éducation artistique et culturelle soit dans les priorités, afin de former de véritables citoyens.

 

 

Avis personnel

Ce manifeste est clair, divisé en 11 chapitres concis, accessible pour tous. Soulevant beaucoup de points problématiques et impliquant tous les intervenants du paysage artistique et éducatif afin de réaliser des projets ans le milieu éducatif, ce livre est extrêmement riche et permet une bonne introduction à toute personne qui cherche à aborder la question de transmission de la culture pour les jeunes.
Néanmoins, je peux reprocher un ton trop engagé qui pourrait dissuader celui qui ne serait pas totalement convaincu par la thèse défendue. En effet, J-G Carasso cherche à convaincre en usant de son énergie et de sa forte conviction mais sans prendre en compte les réticences de ceux qui ne seraient pas aussi enthousiaste que lui. Son ton est passionné mais aussi trop véhément et intransigeant. Il s’agirait de nuancer sa réflexion et de la baser davantage sur des études, des statistiques sans mettre autant de sensibilité, d’assurance, voire parfois de mépris envers ceux qui ne seraient pas déjà convaincu par son point de vue. Il utilise à de nombreuses reprises un discours négatif sur le fait que la société évolue, que nous entrons dans un temps dangereux où tout le monde se replie pour valoriser le fait que l’éducation artistique et culturelle a sa place dans le paysage français. N’aurait-elle pas sa place autrement ?

 

 

 

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