Un retour d’expériences sur les liseuses électroniques a eu lieu le samedi 21 septembre 2013 à 16h, à la Médiathèque François Mitterrand, salle Jean-Richard Bloch.

Les bibliothèques en France joumediathequeissent d’une forme de respect. Ces lieux apparaissent comme la mémoire et le centre d’archives du patrimoine livresque. Avec les librairies, le livre trouve en ces places un terrain de fertilité, de partage qui ne fut jamais remis en cause. Mais, depuis l’apparition dans les années 2000 du Web 2.0 et de son développement fulgurant, ces espaces devinrent menacés. D’une part, le principe de démocratisation de la culture n’est plus dépendant d’un espace géographique matériel. D’autre part, le livre demeure plus accessible sans censure d’une hiérarchie. Il a donc fallu que les professionnels du livre s’adaptent à cette révolution technologique.

Hélas, il n’y a que depuis à peu près une dizaine d’années que des innovations se font régulières. Les bibliothèques de France réfléchissent à la manière dont elles peuvent conjuguer leurs activités dites « classiques » (prêt, conseil aux lecteurs, magasinage…) avec les attentes d’un lecteur 2.0. De nombreuses journées d’études et colloques ont permis de réfléchir sur l’insertion du numérique dans un espace public de lecture.

Poitiers insère depuis de nombreuses années dans ses bibliothèques des ordinateurs qui permettent une connexion à internet et au catalogue du réseau médiathèque de Poitiers. De plus, des bornes informatiques permettent le prêt sans passer par un bibliothécaire. Mais, la lecture numérique n’avait encore jamais franchi les murs de ces lieux. Carole Parisot, coordinatrice des projets de médiation au public, a mis en place un prêt de liseuses pour initier les lecteurs à cette nouvelle forme de lecture. De février à septembre 2013, 106 personnes ont pu emprunter pour une durée variant de 10 jours à trois semaines une liseuse.

De quelle manière fut suivie et organisée cette expérience ? Une campagne au sein de la médiathèque fut organisée pour trouver des participants (affiches et annonce dans le site web de la médiathèque). Les intéressés contactèrent des membres du personnel de la médiathèque et ceux-ci les dirigèrent vers Carole Parisot, qui leur expliqua les tenants et les aboutissants de ce prêt ainsi que le fonctionnement de la liseuse. En moyenne, cette entrevue dura 1h15 (prêt et retour). Puis, durant la période d’essai, les lecteurs étaient libres de l’utiliser de la manière qui leur convenait. Enfin, une autre entrevue était prévue pour le retour de l’appareil, ainsi que le retour personnel sur expérience. C’est donc sur un échange constructif que s’est construit cette opération, avec l’objectif de saisir les avis et les attentes du numérique dans le cadre d’une bibliothèque. La médiathèque désire bâtir un projet numérique sur la seule opinion des lecteurs et non sur celle de la hiérarchie et des experts.

Plusieurs constats ressortent de cette expérimentation :

  • Le premier est que les femmes sont plus demandeuses que les hommes, ce qui tord le cou au préjugé selon lequel les objets high-tech sont le seul apanage du sexe masculin. Néanmoins dans l’échange, il y a davantage d’interrogations autour de la technologie de la part des hommes alors que les femmes sont plus préoccupées par l’utilisation et les contenus qu’offre la liseuse.
  • Second constat : la tranche d’âge la plus investie dans ce projet est beaucoup plus âgée qu’on ne le pense. 46% des personnes participantes ont plus de 50 ans et 70% ont plus de 40 ans. La liseuse intéresse peu les jeunes de moins de 30 ans, plus attirés par la tablette sans doute et plus autonomes dans la prise en main de nouvelles technologies.
  • Puis, cet objet a suscité de très nombreux partages au sein des sphères privées. En effet, sans le savoir, les participants ont fait de la médiation et ont partagé le texte numérique (55% l’ont fait parmi leurs amis, collègues et famille). Même si la liseuse n’est pas sortie du domicile pour la majorité du panel (la liseuse était soumise au prêt), les lecteurs ont répandu l’intérêt du numérique littéraire et sa découverte. Peu de gens pourtant en avait déjà fait l’expérience : majoritairement via le medium ordinateur.
  • De nombreux défauts ont été mis en avant : la difficulté d’utilisation ou encore l’écran. Mais, le confort de lecture (encre numérique), l’autonomie, sa légèreté ainsi que la possibilité de changer la taille des polices furent salués. Ce qui séduit le public demeure le fait de pouvoir régler ses propres paramétrages de lecture. Cependant, la taille de l’écran leur apparaît assez petite et le menu semble plus organisé sur celui d’une navigation web, avec peu de fluidité dans le fonctionnement de l’appareil. Il faut souligner qu’un seul modèle fut proposé dans une gamme de premier prix. Les cobayes ont aussi regretté l’absence de lumière, notamment pour une utilisation nocturne. Quant au mode de lecture, les statistiques montrent qu’à peu près la moitié a lu un ouvrage en entier et presque tous ont parcouru un ouvrage. Beaucoup ont alors feuilleté les différents fichiers proposés, sans pour autant se lancer dans une lecture approfondie et entière. Le support modifie donc les habitudes de lecture de chacun. Au final, les lecteurs trouvent la liseuse pratique, légère, facile, permettant un gain de place et d’énergie conséquent mais sont attachés au livre papier. Le temps d’adaptation fut souligné comme le point important de cette expérience.

Les bibliothèques doivent-elles par conséquent s’équiper à plus grande échelle de liseuse. La réponse est unanime : 93% de oui. Ce panel invoque la démocratisation des nouvelles technologies et la possibilité de personnaliser sa lecture. Pour beaucoup, il demeure certain que ce type de démarche amènerait les jeunes à lire plus et à faciliter l’accès à la lecture. En effet, 79% des gens interrogés désirent que la bibliothèque permette un téléchargement du fonds depuis chez soi. Ils réfutent l’idée d’un seul accès à distance (streaming). Les lecteurs attendent que les nouveautés soient disponibles dans l’instant, sans se déplacer vers un lieu quelconque.

Que retenir de cette expérience ? En premier lieu, il faut se poser la question de l’avenir de la liseuse. En effet, les tablettes de type Ipad ou Android attirent un public plus large que la liseuse puisque s’axant sur tout type de médias. Nous devons aussi souligner que la liseuse ne représente qu’une fonction de la tablette. Les bibliothèques ont donc plus intérêt à prêter des tablettes, qui survivra plus longtemps que la liseuse. Il faut néanmoins souligner que le prêt se fit avec des tablettes assez austères, adaptées bel et bien pour une seule lecture (PocketBook). De plus, l’expérimentation a été faussée par divers facteurs : la contrainte du prêt, le fait que le modèle soit unique, une banque de données identique pour tous… De plus, les gens attendent du numérique une économie de déplacement. Or, s’ils ne viennent plus dans les lieux, il n’y a plus d’intérêt à faire de la médiation puisque la bibliothèque tend à devenir un seul endroit administratif. Donc, comment opérer ce tournant ? Il faudrait peut-être mettre des bornes de consultations et les mêler au fonds papier. Néanmoins, soulignons que la médiathèque fait un effort salutaire pour soutenir l’édition indépendante et libre. En effet, 50 epub de Publie.net furent à disposition dans les tablettes. Les liens pour lire d’autres œuvres demeurent participantes des humanités numériques (Gallica, Projet Gutenberg…). La médiathèque se sent donc très impliquée dans la bibliodiversité.

François Martinez, Master I « Livres et médiations »

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Stéphane Bikialo

Maître de Conférences en Langue et Littérature françaises (7ème et 9ème sections) à l’Université de Poitiers, s’intéresse aux rapports entre langue et style dans la prose poétique des XXème et XXIème siècles (Claude Simon, Nathalie Sarraute, Samuel Beckett, Julien Gracq, Michel Leiris, Bernard Noël). Il travaille actuellement sur la dimension politique de la langue et le rapport au réel dans la littérature contemporaine, (Lydie Salvayre, Leslie Kaplan, Jean-Charles Massera). Dernières parutions : « "J’ai un clou sur la langue". Phraséologie néo-libérale et langue littéraire au XXIème siècle », L’Information grammaticale n° 130 : Le Français au 21ème siècle : continuité et évolution (dir. M.-A. Morel et C. Narjoux), juin 2011. Dans l’atelier du style. Du manuscrit à l’œuvre publiée, La Licorne n° 98 (dirigé avec S. Pétillon), PU Rennes, juin 2012. Coïncidences du dire : Jacqueline Authier-Revuz et Bernard Noël », dans L’Hétérogène à l’œuvre dans la langue et les discours. Hommage à Jacqueline Authier-Revuz (textes réunis et présentés par Sonia Branca-Rosoff, C. Doquet, J. Lefebvre, E. Oppermann-Marsaux, S. Pétillon et F. Sitri), Lambert-Lucas, 2012.