
On peut lire témoignage de ce choc chez Hermann Weyl ou chez Von Neumann .
Il existe des textes où on peut lire leur grand désarroi à travers des confessions de ce type: je suis devenu mathématicien car cétait ma religion, je croyais en la vérité absolue, là était la beauté, le monde réel était affreux, mais je me suis réfugié dans la théorie des nombres. Et tout à coup Gödel a surgit et a ruiné toute chose et je veux me tuer.
Bon tout cela est délicieusement angoissant . Cependant cette
« cette proposition est non démontrable »
est une assertion qui semble bien étrange. Il y a bien des façons de rationaliser et assurément lêtre humain est très bon à ce petit jeu ne serait-ce que pour ne pas se retrouver face à des réalités déplaisantes. On pourrait croire que ces réalités déplaisantes peuvent facilement se contourner : il suffirait seulement de dire, mais enfin qui donc sen préoccupe : les assertions normalement utilisées en mathématique nont pas cette forme. Cest un non-sens et une stupidité totale daller dans ce genre de direction. Mais ceci nest quune incantation car Gödel a fait de
« cette proposition est non-démontrable »
une assertion élémentaire de la théorie des nombres .
Bien sûr, dans sa forme originale elle paraît être un non-sens.
Qui, en effet, a jamais entendu dire quune assertion en mathématique dit delle-même quelle est non-démontrable ?
Mais en fait Gödel transforma cette proposition en une assertion numérique élémentaire de la théorie des nombres, en arithmétique.
Cela devient une assertion dun énorme volume, qui de façon très astucieuse, implique la numérotation de Gödel de toutes les assertions utilisant les entiers premiers.
Elle est donc récrite de telle façon à ressembler à une assertion mathématique réelle.
Mais elle se réfère réellement de façon indirecte à elle-même et dit quelle est non-démontrable.
Et cest pour cela quil y a problème.
Mais la plupart des gens ne savaient pas quoi faire de cela. Donc disons que cétait un résultat surprenant où en fait la surprise correspond à un choc terrible.
Résumons.
1931 Gödel « cette proposition est non-démontrable » surprise.
Puis est arrivé Turing.
1936 Turing
Il commence lui, le premier à parler dordinateur.
1936 Turing ordinateur
Turing a dû inventer lordinateur puisque Hilbert parlait dutiliser obligatoirement des procédures mécaniques pour vérifier les preuves mathématiques. Turing se disait que ce dont Hilbert parlait doit être un programme dordinateur pour vérifier les preuves. Mais dabord il fallait à Turing spécifier ce quétait un ordinateur et cest exactement ce quil y a dans sa publication de 1936 et cest la machine de Turing, à une époque où il nexistait pas dordinateur ! On peut dire que cest de linvention, sur le papier, de lordinateur quil sagit.
Ce que Turing a montré en fait cest quil existe des assertions concrètes qui échappent à la puissance des mathématiques. Actuellement , on pense aux ordinateurs en tant quappareils physiques et donc ils ressemblent aux objets physiques. Cest en fait une machine qui va au-delà, cest une idéalisation du travail physique et nous avons donc cette machine qui marche vraiment et Turing tombe alors sur le problème de son arrêt.
1936 Turing ordinateur Le problème de larrêt
Le problème de larrêt dit quil ny a aucun moyen de savoir si, éventuellement, un programme dordinateur sarrêtera.
Actuellement, cela est la chose la plus facile au monde pour décider si un programme sarrête. On lexécute et quand on devient fou de rage à force dattendre, on y est, ça ne sarrête pas tant que notre rage dure. Qui se préoccupe de la longueur de lattente. Mais ce que Turing a montré cest quil y a vraiment un problème si on ne met pas une limite de temps à notre attente. Ceci est de la mathématique très abstraite car dans la vie réelle, il y a toujours une limite de temps. On ne peut pas exécuter un programme pendant un million dannée, encore moins pendant un milliard dannées et que dire dun temps de 10 10100 années ! Donc si on met une limite de temps, le problème de larrêt est trivialement résolu et se décide facilement toujours en principe : il ny a quà lexécuter et voir sil sarrête ou non avant le temps limite quon sest donné. Mais si on ne se donne plus de temps limite, il ny a aucune solution. Il ny a pas moyen de décider à lavance si un programme dordinateur va sarrêter ou non. Il en découle alors quil nexiste aucun ensemble mathématique daxiomes au sens de Hilbert capable de prouver quun programme dordinateur sarrête ou non.
Car si on pouvait prouver quun programme sarrête ou non, alors ceci implique quon peut exécuter toutes les preuves possibles rangés par ordre de longueur et vérifier quelles sont correctes et éventuellement soit trouver une preuve que le programme va sarrêter ou trouver une preuve quil ne va pas sarrêter.
Actuellement et en pratique, exécuter toutes les preuves possibles exige une quantité de temps astronomique. Imaginons combien, déjà, il y a de preuves de la longueur dune seule page seulement ! On ne peut en arriver au bout ! Mais en principe conformément au système axiomatique formel de Hilbert on peut exécuter toutes les preuves possibles rangées par ordre de taille et sassurer quelles vérifient ou non les règles. Donc si on dispose dune axiomatisation formelle des mathématiques qui nous permette de prouver quun programme sarrête ou non cela donnerait justement une procédure mécanique en exécutant toutes les preuves possibles rangées par ordre de taille et de décider si un programme sarrête ou non.
Turing a montré quon ne peut pas faire cela.
Sa preuve utilise largument diagonal de Cantor. Toutes ces idées sont connectées entre elles.
On voit que le travail de Turing trace les limites des mathématiques de façon plus naturelle parce quil est question dun appareil physique, dun ordinateur.
1936 Turing ordinateur Problème de lArrêt naturel
On peut fantasmer un peu et transformer notre ordinateur physique en une machine théorique .
Il suffit dimaginer un ordinateur qui ne tombe jamais en panne, qui peut exécuter indéfiniment des instructions et qui possède des moyens de stockage aussi grands quil le souhaite de sorte que si les nombres deviennent trop grands il peut néanmoins continuer à calculer (remarquons au passage que cest exactement vers ce genre de performances que tend toute la technologie des ordinateurs (et partant, toute la technologie tout court) à des coûts de plus en bas et donc de plus en plus réalisables et généralisables - on pourrait même risquer de dire que la course aux performances est une théorisation de la réalité-).
Les limites détectées par Turing apparaissent plus sérieuses et plus dangereuses que celle découvertes par Gödel
Oups ! Une machine formelle à poser et à résoudre tous les problèmes ?
Tout est déjà là, dés le début, en 1936.
Linvention de lordinateur est une réponse à un argument théorique fou.
On na certes pas en jeu les milliards de dollars de la technologie en 1936 , mais les jeux sont faits, tout est posé, à létat embryonnaire bien sûr, dans cet article de 1936 !
Von Neumann lui, lavait vu : la machine universelle de Turing sidentifie à la machine programmable capable de prendre en charge par le calcul nimporte quel problème .
Il existait, bien sûr, déjà bien avant Turing des machines à résoudre des problèmes par le calcul, mais ces machines ne prenaient en charge par le calcul quun type très spécifique de problèmes.
Ce nest pas pour rien que John Von Neumann eut lidée du logiciel et fut le premier programmeur de lhistoire de linformatique, il a su voir cette flexibilité, cette notion potentielle duniversalité du calcul de la machine de Turing.
Toute la Technologie est là, en condensé.
Et, en fait, Gödel comme on la dit précédemment utilisait dans la démonstration de son fameux théorème une sorte de LISP où se cache un véritable langage formel, un langage de programmation, quoi !
Dans le papier de Turing, cest plus explicitement que le langage de programmation est donné et cest dailleurs un authentique langage machine.
Bien sûr, maintenant le langage machine est mal vu, un langage dont personne déquilibré ne voudrait pour programmer. On peut se rendre compte maintenant que si Turing avait utilisé un langage plus complexe, il aurait été obligé dintroduire un relais supplémentaire constitué par un manuel minimal dutilisation de ce langage dans le papier de 1936, et que donc personne naurait rien compris à son véritable résultat de calculabilité.
Quen est-il actuellement et qui se préoccupe vraiment des problèmes de fond de la mathématique ?
Hilbert est mort, la II ème guerre est passée et le monde va dans des directions de moins en moins philosophiques. Dailleurs les questions philosophiques de fond ont tendance à moins intéresser depuis quon voit de jeunes morveux devenir milliardaires juste en démarrant des starts-up sur le Web !
Ce qui est insupportable en fait, cest que même dans le monde abstrait des mathématiques pures, les mathématiciens eux-mêmes affirment que dans la pratique ils font exactement de la même façon ce quils ont toujours fait, et quen définitive tout cela ne sapplique pas aux problèmes qui les préoccupent !
Ce fut typiquement la même réaction à lépoque de Gödel et Turing face à leurs travaux sur lincomplétude.
Au début ce fut un choc terrible, puis cest passé à lautre extrême.
On dirait de cette amnésie une technique névrotique compensatrice de lespace mental que Freud a tenté de si bien expliquer.
Les conséquences de ces résultats sont soigneusement refoulées ou noyées dans un verbiage théologique où lincantatoire prend si facilement le pas sur le rythme dun débat qui nen est pas un.
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